Au bout d'un instant, l'alcool aidant, il se sentit beaucoup mieux. Sylvain, les larmes aux yeux, était parti. C'était mieux ainsi. Il n'était qu'un boulet et puis, de toute façon, il serait toujours temps de s'excuser plus tard.
Maintenant, place au rire, aux femmes et à la boisson. Il saisit la seconde chope, se leva titubant, puis se ressaisissant, avança vers le centre de la salle. Un ménestrel pinçait son luth et chantait une ballade depuis un moment. Dames et damoiseaux, seigneurs et princesses, démons et fées, tous se côtoyaient et bavardaient gaiement.
Des monstres ! Quelle idée absurde.
De larges coupelles, remplies de mets aussi exquis que différents, étaient disposées au centre de chaque table. Les convives y piochaient allègrement.
Rassemblant son courage à deux mains, il s'avança avec sa chope pleine vers une table du fond. Là, une jeune femme aux cheveux de jais, à moitié dissimulée par la pénombre, un bâton torsadé serti d'une pierre noire posé près d'elle, étudiait un vieux livre poussiéreux.
D'un pas assuré, il avança prenant au passage une torche sur l'un des murs. L'approchant à quelques centimètres de la chevelure corbeau, il posa bruyamment son verre sur la table et s'avança jusqu'à lui toucher le front de son casque.
Elle releva lentement les yeux et le dévisagea froidement.
Le temps sembla s'altérer et un froid intense le parcourut.
Au bout d'une minute, elle ouvrit enfin la bouche.
- Que me veux-tu, maraud ?!
Son ton glacial acheva de le pétrifier.
- Je... Je... Je suis un chevalier ! glapit-il d'une toute petite voix qu'il ne se connaissait pas.
- TOI ! CHEVALIER ! Elle éclata de rire, ajoutant à sa confusion. TOI !
A ce moment, une ombre passa une main par-dessus la frêle épaule féminine et vive comme un éclair, elle en saisit le poignet, amenant le visage du jeune homme brun de l'entrée dans le cercle de lumière.
- Regarde, Brian ! Ce manant se dit chevalier !
L'instant d'après, le dénommé était retourné dans l'ombre.
Roger se releva brusquement et brandissait la torche pour éclairer les ténèbres derrière la jeune femme quand il sentit le contact froid d'une lame sur son cou.
- Dis-moi, mécréant, ne t'as t-on jamais dit que l'habit ne fait pas le moine ?
Une poigne d'acier lui broya l'épaule et le retourna comme une crêpe. Maintenant, il pouvait voir son adversaire qui jouait avec sa dague à quelques centimètres de son oeil gauche, le faisant absurdement loucher.
- Et la politesse ? reprit le brigand. La connais-tu ? Ne t'as t-on jamais dit qu'il était extrêmement imprudent de chercher à voler la femme d'un maître-voleur.
Roger ouvrit pitoyablement la bouche, mais son gosier sec refusa de lui obéir. Quand il parvint enfin à articuler quelques paroles ce fut d'une voix de fausset qui lui fit monter le pourpre aux joues.
- Qui... Qui êtes-vous ?
L'autre baissa son arme, recula d'un pas et, avec une demi-révérence, se présenta.
- Brian de la Dague Diamant et voici ma compagne, Sélène.
D'un hochement de tête, elle le salua avant de demander.
- Et toi, qui es-tu ?
- Je... Je suis Roger... Il aspira une grande goulée d'air, puis, fermant les yeux, lança d'un trait. Je suis Roger le preux chevalier !
Ils le dévisagèrent, impassibles, un instant puis, de concert, éclatèrent de rire.
- Quelle originalité ! clama Sélène.
- Je n'aurais pas fait mieux ! s'esclaffa Brian.
Roger rougit violemment. Alors un éclair dangereux passa dans les yeux du voleur.
- Puisque tu es si preux, tu ne refuseras donc pas un combat à la loyale !
Le jeune homme se mit à trembler.
- C'est que...
- Serais-tu couard ?
Brian rangea prestement sa dague dans sa botte et, dégainant son épée, la balada sous le nez de l'inconscient.
- Pas exactement, mais...
- Il n'y a pas de juste milieu. Ou tu relèves le défi, ou je te découpe en morceaux.
Roger, désormais pris de panique, reculait.
- Il y a peut être un moyen de s'expliquer...
Avec un sourire malicieux le maître-voleur répondit.
- Admet que tu es un lâche !
- Que je...
Soudain un immense sourire éclaira les traits du pseudo-guerrier, déconcertant son adversaire.
- J'ai compris ! Vous êtes des acteurs engagés par la taverne pour recréer l'ambiance ! Et moi qui ai marché comme un bleu. Félicitations ! Vous m'avez bien eu ! L'épée est rétractable, c'est ça ? C'est en quoi ? Plastique ? Latex ? C'est super bien imité en tout cas !
Roger se sentait soudain plus léger, alors la lame décrivit un arc de cercle et après une légère brûlure, il sentit un liquide chaud et poisseux lui couler le long du bras gauche.
Avec horreur, il regarda son sang s'écouler et imbiber sa tunique pour former une vague fleur vermeille.
- Et ça ? reprit l'autre, railleur. Qu'est-ce à ton avis ?
- Je... Je saigne ! murmura t-il, les lèvres tremblantes. Je saigne !
Sélène et Brian s'esclaffèrent.
- Perspicace ! Tu en as d'autre comme ça ?
Une petite foule s'était rassemblée autour d'eux et Roger n'y voyait pas un seul visage compatissant. La fouine avait réintégré sa place, sur le haut de l'épaule de la jeune femme et semblait, elle aussi, s'amuser du spectacle.
- Ce n'est pas du cinéma ! Il m'a vraiment blessé !
Ce disant il se précipitait vers chaque personne montrant sa blessure et répétant sans cesse.
- Je saigne ! Je saigne ! provoquant l'hilarité générale.
Soudain tous s'écartèrent pour laisser passer un seigneur richement vêtu d'apparence humaine. Seul ses yeux pourpres dans son visage délicat trahissaient sa nature. Il foudroya Roger du regard qui ne put s'empêcher de reculer. Dans sa précipitation, il heurta la table et renversa la moitié de sa chope sur son pantalon de peau moulant.
- Mais que dirait-on ? s'écria le seigneur d'une voix d'outre tombe. Le puceau aurait-il fait dans ses linges ?
Toute sa cour s'esclaffa alors que le pauvre jeune homme copiait sur son visage la couleur des yeux de braises.
- Est-ce toi le pourceau qui gémit ?
Alors, désignant Brian du doigt il geignit.
- C'est lui qui m'a blessé !
Brian fit une demi-révérence et tous s'esclaffèrent de nouveau. Le seigneur lui même ne put empêcher un gros rire de s'échapper de ses lèvres. De sa voix caverneuse, il reprit au bout d'un moment.
- Quel était le dilemme ?
Le Maître-Voleur avança.
- Je disais que ce manant, qui dit s'appeler « Roger le preux chevalier » ...
A ces mots, les rires fusèrent de plus belle.
- Je disais, reprit-il quand ils se furent calmés, que cet homme est un couard !
Les yeux du seigneur devinrent ardent.
- C'est là une accusation sévère ! puis s'adressant à Roger. Allons dégaine ton épée et que le sang décide de la vérité.
- Mais... Mais...
Le cercle s'était élargi, Sélène, toujours assise, lança un foulard de soie noire à son compagnon qui l'attacha à son poignet.
- Je porterais les couleurs de ma belle !
Des hourras et des bravos saluèrent son geste.
Roger tournait sur lui même. Ce ne pouvait être qu'un rêve, qu'un cauchemar ! Mais alors pourquoi son bras lui faisait-il si mal ?
Comme dans un rêve, il dégaina son épée. Qu'elle lui paraissait lourde ! Lui qui ne s'était jamais battu, pas même aux poings.
Là, ce ne serait plus les dés qui décideraient de son sort, mais son adresse et sa force. Et c'était sa vie qu'il jouait et non plus celle d'un personnage sur papier.
Brian attendit, immobile, qu'il lança le premier coup et para de sa lame. Le choc fut si violent que Roger ne put retenir son épée qui lui échappa des mains.
- Ramasse ! ordonna le Maître-Voleur.
Le jeune homme obéit sous les hués des spectateurs.
- Le combat est inégal ! gémit-il.
- Il a raison sur un point ! s'inclina Brian, Pas sur le fait du combat, puisque celui-ci n'a pas encore commencé, mais sur le fait que nos forces sont inégales ! Car bien que je ne sois qu'un voleur et, lui, un preux chevalier...
Les rires retentirent encore une fois.
- Je lui suis infiniment supérieur.
Il fit une demi-révérence et reçu de nombreux applaudissements.
- Aussi, continua-t-il avec un sourire sournois, je lui donnerai un avantage et non des moindres. Sélène !
Il lui tendit la main et elle le rejoignit. Otant le foulard de soie de son poignet, elle lui banda les yeux.
- Frappe le premier !
Roger saisit son épée bien au-dessus de lui et, avec un cri de rage, se précipita.
Le voleur esquissa un pas de côté et la lame fit voler quelques éclats de bois du plancher.
- Prend garde ! reprit l'autre moqueur. Tu risques de te blesser !
- Je te tuerais !
- Mais voilà que la fourmi se rebelle ! s'esclaffa le voleur avec un deuxième pas de côté.
- Tu triches ! Je suis sûr que tu vois !
Le visage du Maître-Voleur pâlit et, d'une voix blanche, il cingla.
- Ne dis jamais à un gentilhomme qu'il ment car l'honneur bafoué te conduira à la mort !
Et, sur un preste coup d'épée, il lui fouetta le dos. Les plaques de métal n'amortirent que peu le choc et Roger poussa un cri de douleur.
Avec bonne humeur, Brian ajouta.
- Sache, petit ver, que si tu ne veux pas que je te repère, il faut te taire et non mugir comme une vieille carne !
Mettant le conseil à profit, et sans dire une parole, il frappa de toutes ses forces, mais fut dévié sans peine par la lame du cimeterre sous les hués des badauds.
- Un autre conseil ! Ta démarche ! Fais la moins pesante, tu fais trembler tout l'édifice !
- Cela suffit ! intervint le seigneur aux yeux pourpres, Finis-en. Nous avons nombre de choses bien plus importantes à traiter.
Roger effaré vit alors Brian s'approcher et, d'un geste précis, lui enfoncer sa lame entre les plaques qui couvraient son estomac, et tourner, tourner, tourner...
* * *
Sylvain se dandinait d'un pied sur l'autre.
Sur le lit, Roger se tordait de souffrance, les mains crispées sur son estomac.
Sa mère se tourna une nouvelle fois vers lui.
- Ce que tu dis n'a pas de sens !
- Mais j'vous jure, M'dame, c'est pourtant ce qui s'est passé !
- Roger n'est pas assez stupide pour s'être laissé entraîné.
- Mais c'est pourtant c'qui s'est passé ! J'ai essayé de le retenir mais il n'a pas voulu m'écouter, j'ai tout suivi de l'extérieur, par la fenêtre. L'autre l'a défié et il a relevé le pari. Il a avalé la pilule de LSD avec le Whisky coca. J'peux partir maint’nant ?