Une fois n'est pas coutume, dès qu'un comporte une partie "artistique", je peux pas m'empêcher de poster ma nouvelle chérie !
Bonne lecture !
Désolation.
C’était le seul mot qui pouvait décrire ce qu’était devenu la ferme et ses alentours. Les champs avaient été brulés, comme les bâtiments. Les corbeaux se nourrissaient déjà des carcasses carbonisées. Une odeur de mort imprégnait l'air, et aussi autre chose. Le Mal était passé par là, et il avait laissé sa marque.
Maltior, mon frère jumeau vint me parler, mais lorsqu’il ouvrit la bouche, il retint difficilement un vomissement, et préféra se taire. Je ne l’avais jamais aussi pâle, aussi près de s’évanouir. Ce qui s’était passé ici dépassait ma compréhension et la sienne. Mais notre compagnie avançait toujours plus vers ce qui avait jadis été une maison où il faisait bon vivre. Sur le seuil de l’ancienne bâtisse se trouvaient les habitants des lieux, des gens que j’avais apprécié, des gens qui ne méritaient pas… ça.
Karl, le père avait été démembré, et la mort n'avait du venir que lorsque sa tête s'était envolé. Sa femme était nue, les jambes tordues dans des angles impossibles. Les enfants semblaient avoir été éclatés contre les murs. Notre troupe resta un moment immobile, contemplant avec horreur la scène. C’était… sale, je n’avais jamais vu ça… une telle haine, une telle violence… Mes genoux se mirent à trembler et je n’arrivai à me contrôler qu’au pris d’un énorme effort.
Je devais reprendre le contrôle de mes actes. Les responsables de ce massacre devaient être punis, Karl devait être vengé ! D’un geste, je fis reformer les rangs. Si ces saloperies osaient revenir, elles auraient du souci à se faire. S’attaquer à une famille désarmée était une chose, s’en prendre à une compagnie armée en était une autre.
- Mes amis, je sais que ce spectacle est abominable mais nous devons ven…
Maltior ne pu s'en empêcher et il vomit, longuement, m’éclaboussant et me coupant la parole. Il rendit d'abord son maigre repas du matin, constitué de pain et d'un peu de viande. Puis il continua, se vidant de sa bile. L'odeur de l'air était déjà tellement dégoutante que la senteur acre des sucs gastrique n'y changea rien.
Puis d'un coup, cette puanteur s'accentua, énormément, si bien que même les vétérans durent retenir leur repas. Je fus le premier à réagir, malgré les crampes intestinales qui me tourmentaient.
- Ils reviennent, aux armes !
Les plus rapides dégainèrent leurs armes à temps. Mais pour les autres, les jeunes recrues qui n'avaient jamais connu la mort, la violence et la folie, ce fut la panique : ils allaient combattre des démons sans tête d’une force considérable dont l’origine était à ce jour inconnue. Les épées tombèrent, les pieds trébuchèrent, des cris de terreur primal sortirent des bouches. Mon estomac semblait vouloir remonter jusqu’à mon cerveau. Ma vision se brouilla. Ce fut plus la peur qui me fit me redresser qu’un quelconque courage. A cet instant, plus rien ne comptait. Les années d’entrainement, de combat, l’honneur, le désir de vengeance, cela n’était comparé à la simple peur de la créature qui approchait.
Et l'ombre apparut. Une seule, pas un groupe. C'était une unique créature du Mal qui avait commit ce massacre. Un simple esprit malfaisant qui avait ravagé d'un geste ces terres. L'esprit parla, d'une voix douce, mais froide. La silhouette ne bougea pas mais le son des ses paroles parvinrent de sept points différents. Les sept voix convergeaient vers nous, nous encerclant dans un maelstrom de puissance ténébreuse. Pris d’une peur primitive, je fis deux pas en arrière, Maltior se retrouvant en première ligne. Ce fut à ce moment que la créature sembla regarder mon pauvre ami, mon frère d’arme et de sang que je venais de condamner à mort par un simple mouvement.
- Crève, sale puceron.
En un instant la chose traversa la distance qui le séparait de sa victime. Une lame sombre et dentelée apparut dans sa main et elle s'abattit sur l'infortuné. Dans un flot de sang, l'arme coupa Maltior, de haut en bas, totalement.
Les deux cotés du corps venaient à peine de tomber à terre que le démon était déjà sur un groupe de jeunes soldats. Je restais cloué sur place, ne sachant pas quoi faire, n’assimilant même pas les effets. Maltior… mort… Le meilleur épéiste que j’ai jamais connu mort presque dans son vomi… Nous allions tous y rester…
Le sang vola, la cervelle gicla, et la créature éclata d'un rire fou, incontrôlable, à glacer le sang. Je n'avais jamais vu une créature du Malin agir seule, et encore moins être aussi rapide et dangereuse.
Puis le temps sembla se ralentir petit à petit. Cette chose bondissait déjà sur un groupe de jeunes recrues, et les tailla en pièce, méthodiquement. Pourtant il semblait qu’il se trouvait toujours au dessus de mon frère, se délectant de son air terrifié. Je n’osais pas imaginer la souffrance qu’il avait éprouvé, même si cela avait été rapide, terriblement rapide. Le choc de l’épée sur la chair, le sang qui coule, le fer qui crisse sur les os, déchire les organes, détruit la moindre vie dans ce corps…
C’était presque indifféremment que je regardai huit jeunes hommes mourir. Ils semblaient tomber lentement, si lentement. Je ne me rendais pas encore vraiment de ce qui se passait. Mon regard se posa sur un jeune homme, la vingtaine, qui s’étouffait dans la boue et son propre sang, incapable de se relever. Ses jambes n’étaient pourtant pas très loin, juste quelques mètres. Il ne pourrait jamais jouer avec son enfant à naitre, à moins que quelqu’un ne fasse un garrot efficace. Mais où le poser ? Il ne restait plus assez d’espace sur les jambes, et personne n’arriverait à serrer suffisamment le ventre pour que le sang cesse de couler.
Soudain je pris conscience de mon état, et de celui de mes compagnons survivants. Nous regardions bêtement les notre mourir les uns après les autres. Il fallait faire quelque chose !
- Archer, vite ! M'exclamai-je alors, retrouvant pour un court instant le contrôle de mes muscles. Ma voix me parut bizarrement fluette et tremblante.
Les flèches plurent immédiatement, se plantant par grappes dans le lourd manteau qui enveloppait l'assassin, sans pour autant le gêner. Ma voix se brisa complètement. Oh non…
Il se retourna brusquement, me toisa de toute sa hauteur. Un instant, je croisai ce qui devait être son regard, et j’y lu de la haine. Il avait mal ! Il pouvait mourir ! J’ouvris la bouche pour hurler à mes hommes de continuer, mais il fut là, devant moi.
Je n'avais pas remarqué qu'il était aussi grand… tout comme je n'avais pas remarqué la lame qui me heurta, me coupant le souffle. Une douleur apparut à mon épaule, et je tentai de bouger mes doigts, ma main, mon bras. Rien.
Pourtant, je ressentais encore cette partie de mon corps… Qu’est-ce que cela voulait dire ? Je ne pouvais voir mon bras nulle part. Par contre je sentais les battements de mon cœur à travers ce qui était un bout de bras sanguinolent. La terre calcinée s’abreuvait de mon sang, comme si elle aussi voulait ma mort.
Le rire retentit à nouveau, toujours aussi malsain, obsédant, qui semblait résonner dans ma tête, me donnant envie de tuer par tous les moyens possibles. Le Démon avait décidé de s’occuper de mes autres hommes avant de m’achever. Il prenait de la joie à tuer chaque personne, savourait chaque miette de la souffrance qu’il dispensait allégrement. Il démembra à main nus mon second, alors que son épée avait empalé deux hommes.
Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment, mais l’instinct de survie refit alors surface. Je tentai de me relever, mis je ne réussis finalement qu’à tomber dans le ventre béant de Maltior. L’horreur, l’odeur, eurent raison, et je vomis enfin. Mon estomac se lâcha alors que je m’empêtrais dans des intestins rouges de sang.
Lorsque je réussis finalement à m’extirper de l‘intérieur de mon frère, je Le vis m’observer. Ses pieds enserrèrent ma tête. Tout doucement il se pencha, se pencha, jusqu'à ce que nos visages se touchent presque. Mais je n'arrivais qu'à sentir son haleine de mort putride, qu'à voir deux braises rougeoyantes, luisant d’un éclat mauvais. Deux globes de flammes et de folie, de carnage et de sang, de meurtre et de désolation. Des yeux de Chaos.
Et pendant quelques secondes, je me vis, moi, par les yeux du Démon. Je vis ma tête se détacher de mon corps. Je vis le sang jaillir par à-coups.
J'avais vu ma mort. Et je n'y ai pas survécu.
J’avais vu le chaos. Et je l’ai rejoint.